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Je suis malade alcoolique depuis 30 ans, et même si je suis abstinent depuis plus de huit ans, je resterai malade alcoolique toute ma vie : pour moi, il n’y a pas de guérison possible. Par contre, je me rétablis, et ce processus de rétablissement que j’ai entamé en 2014 se poursuit jour après jour et gagne en solidité à mesure que je progresse sur ce chemin.
Mon rétablissement a réellement débuté au Centre de Psychothérapie d’Osny (CPO), qui a mis en place depuis toujours un programme de soins basé sur le modèle Minnesota, décrit notamment par les Alcooliques Anonymes (AA) et les Narcotiques Anonymes (NA). Il s’agit d’un programme en douze étapes permettant au malade addict de trouver le chemin du rétablissement et de vivre pleinement heureux tout en maintenant son abstinence. Le programme ne se limite pas aux addictions aux produits (alcool, drogues, médicaments…) mais s’étend également aux comportements (jeux, sexe…). Il ne s’agit pas non plus uniquement d’un programme permettant de s’abstenir de consommer, mais plutôt d’un programme de rétablissement au sens large, presque un « guide » de vie.
Je suis malade alcoolique mais ce n’est pas ce qualificatif qui me définit. Je ne peux pas être résumé à cette maladie. D’abord parce que j’ai été également atteint d’autres troubles psychiatriques, dont la dépression, mais surtout parce que ma vie de personne en rétablissement ne tourne plus du tout autour de l’alcool, de sa consommation ou de comment je n’en consomme plus. Ce qui me définit désormais, c’est le chemin de vie que j’ai choisi d’emprunter depuis huit ans et mes actions au quotidien.
Parmi ces actions, il y a l’aide que je peux apporter à d’autres patients addicts, dont beaucoup peinent à initier leur rétablissement. Cette démarche est pour moi naturelle : je veux tenter de redonner une partie de ce que j’ai reçu moi-même lorsque j’ai demandé de l’aide. Elle constitue ensuite la douzième étape du programme des AA : transmettre ce que l’on m’a appris. Et c’est enfin la base de la pair-aidance : apporter son soutien aux personnes qui vivent actuellement ce que l’on a déjà vécu lorsque l’on était soi-même patient, faire profiter les autres de son savoir et de son savoir-faire, partager son expérience.
Finalement, j’ai découvert la pair-aidance lorsque j’étais moi-même patient, sans connaître le mot. Et ce mode de rétablissement m’a permis de devenir la personne que je suis aujourd’hui.
L’ouverture du Diplôme universitaire de Pair-aidance en santé mentale en 2019, à l’Université Claude Bernard de Lyon, permet de légitimer la présence des pairs-aidants dans les équipes soignantes et de professionnaliser leurs pratiques grâce à l’apport de connaissances théoriques et d’une vision plus complète des champs d’application. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre, qui permet d’insérer un nouveau maillon dans la chaîne de l’alliance thérapeutique.
Lorsque je me suis présenté au CPO le premier jour de mon stage de fin d’études, j’avais une très légère appréhension. Je connaissais bien la structure, une grande partie de l’équipe, le modèle de rétablissement. Je savais que mon arrivée avait été bien préparée et que j’allais être bien accueilli : la pair-aidance a toujours été l’une des clés au CPO, notamment grâce aux messagers. Je n’avais pas non plus de doute sur le fait que j’étais bien à ma place : un ancien patient en rétablissement, ayant suivi une formation diplômante, capable de favoriser la communication entre les soignants et les patients et d’apporter une autre forme de soin.
Ce qui me questionnait était ailleurs : j’avais été hospitalisé dans ces mêmes murs et j’avais été pris en charge par ces mêmes soignants. Comment allions-nous tous gérer ce « franchissement de barrière » ?
Tout s’est en fait déroulé de manière très naturelle : l’équipe m’a accueilli comme un collègue, avec beaucoup de bienveillance. J’ai immédiatement été intégré au reste de l’équipe et j’ai participé à toutes les réunions. Surtout, l’équipe a toujours montré son intérêt pour mes remarques, mes réflexions, mon ressenti. C’est à ce moment-là, dès le premier jour, que j’ai compris que l’intégration d’un ancien patient, qui connaissait déjà « l’autre côté », était une chose naturelle pour les soignants. Que tout était fait, au CPO, pour le patient et avec le patient. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé à quel point les pairs-aidants pouvaient devenir une ressource riche dans une structure de soins, en étant les seuls acteurs du soin en mesure d’apporter aux patients ce que l’équipe soignante ne peut leur apporter.
Depuis ma sortie d’hospitalisation il y a plus de huit ans, l’institution est toujours restée en contact avec moi. Le psychiatre en chef notamment, a toujours eu à cœur d’impliquer les patients dans la démarche de soin de la clinique ; il m’a plusieurs fois convié à des réunions avec d’autres anciens patients afin que nous puissions échanger sur les axes d’amélioration de la prise en charge. Plusieurs de nos idées ont été reprises et sont encore en place. Cette approche, qui met le patient et le rétablissement au cœur du parcours de soin, est déjà une approche orientée pair-aidance. Avant même de connaître ce terme, je faisais, sans le savoir, de la pair-aidance. Et avoir l’opportunité d’exercer une activité professionnelle là où j’ai été hospitalisé n’entraîne pas de difficulté, bien au contraire. C’est une force, au service des patients.
La formation, puis le stage, ont été pour moi une révélation. Depuis mon passage au CPO, en hospitalisation complète puis à l’hôpital de jour, j’ai toujours voulu y retourner régulièrement, pour y partager mon expérience de la maladie et du rétablissement, pour y transmettre de l’espoir. Je me suis rendu compte que ces interventions me faisaient également beaucoup de bien, qu’elles participaient à mon propre rétablissement. Au fil des années, cette envie de revenir s’est transformée en besoin. Mais il n’est pas possible actuellement de revenir régulièrement dans un établissement de santé si l’on n’est pas un professionnel diplômé. Et c’est là que le Diplôme universitaire de pair-aidance a su répondre à ce besoin : ce besoin de nombreux patients, experts de leur maladie, acteurs de leur rétablissement, qui veulent, qui ont besoin de transmettre leurs savoirs pour aider leurs semblables…
Aujourd’hui, j’interviens deux jours complets par semaine en tant que pair-aidant professionnel au CPO, en hospitalisation complète et en hôpital de jour. Je suis totalement intégré à l’équipe des soignants et parfaitement accepté par les patients. Le sujet d’un prochain article pour partager mon expérience ?
Christophe PLANET
le lien d’accès à son mémoire de DU pair-aidance en cliquant ICI
Du même auteur sur En Tant Que Telle:
– Le rétablissement au sein d’un couple de pair·es
– Devenir messager, un premier pas vers la pair-aidance
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