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Lorsque je suis arrivé au Centre de psychothérapie d’Osny (CPO), après 24 ans de consommation et une bonne douzaine de cures, j’ai découvert quelque chose de nouveau pour moi : les groupes de parole. C’était la première fois que je pouvais écouter d’autres dépendant·es et surtout, la première fois que je pouvais parler à d’autres dépendant·es.
Je m’étais déjà rendu dans le passé à quelques réunions des Alcooliques Anonymes, mais je n’avais rien retiré de ces expériences. D’abord parce que j’étais généralement alcoolisé lorsque j’y allais, et ensuite parce que j’avais l’impression d’assister à la réunion de membres d’une secte, qui en plus avaient l’air de tous bien se connaître. Je faisais un tel blocage que je ne me suis pas aperçu que l’intérêt de ces groupes résidait dans l’échange, et non dans les gens.
Au CPO, j’ai d’abord expérimenté les groupes de parole à la clinique, entouré d’autres patient·es que j’avais l’habitude de croiser dans les couloirs et au réfectoire, avant même d’intégrer les groupes. Ces premiers groupes de parole, ça a été les « messages »…
En face de moi, j’ai vu un·e dépendant·e qui exposait sa vie de dépendant·e. Sans fard, sans honte, sans crainte du jugement. Et ça a été pour moi une révélation : la personne qui se tenait face à moi racontait sa transformation, parfois sa métamorphose. Son parcours de vie était toujours différent du mien, mais je retrouvais également énormément de similitudes dans nos parcours de dépendants : je pouvais m’y identifier. Et ce faisant, j’ai commencé à relativiser sur mon propre cas : je n’étais plus seul. J’ai donc commencé à écouter, à écouter vraiment.
Ça a été mon déclic…
Depuis que je suis sorti du CPO, il y a presque sept ans, je ne manque pas une occasion d’y retourner pour, à mon tour, jouer le rôle du messager. Pour deux raisons.
La première raison est classique : je veux essayer, à mon petit niveau, de « rendre » une partie de ce que j’ai reçu. Je veux essayer d’expliquer aux patient·es qu’il est possible d’arrêter et que cet arrêt peut durer, toujours 24 heures à la fois. Je veux essayer de leur expliquer que mon passage au CPO m’a permis de changer, de me transformer, de me métamorphoser, de renaître. Et que cette transformation est toujours en cours, parce que j’ai choisi de la poursuivre, parce qu’elle me permet de vivre, et de vivre heureux. Je veux essayer de leur expliquer qu’il n’y a pas de cas désespéré, que le programme fonctionne. Je veux essayer de leur expliquer que ce n’est pas si difficile de surmonter ses problèmes d’addiction ; que ce qui est difficile, c’est de choisir de le faire ; et qu’ils ont déjà franchi un cap important en choisissant de venir au CPO. Je veux essayer de voir dans le regard de ces patient·es la lueur que j’ai moi-même eue lorsque j’assistais à des messages. Je veux essayer de leur faire comprendre qu’ils et elles ne sont plus seul·es…
La seconde raison est beaucoup plus égoïste : à chaque fois que je retourne au CPO, cela me fait du bien. À moi. Parce que je me revois quelques années avant, dans cette même pièce, à la place des patient·es. Parce que je me revois, misérable et défaitiste, mais reprenant espoir en écoutant les messagèr·es. Parce que pendant longtemps, je n’ai regardé que les montagnes devant moi et que désormais, je regarde également les montagnes derrière moi, qui ont été aussi difficiles à franchir. Parce qu’après chacun des messages que je « délivre », j’avance, je progresse.
Aller « faire un message » au CPO, c’est rendre service aux patient·es hospitalisé·es. C’est aussi se rendre service à soi-même, c’est mesurer le chemin parcouru.
Christophe PLANET
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