L’épilogue d’une mission de pair-aidance [Sofian SEBBAGH-ESCALIER]

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Messieurs, Mesdames,

J’espère que le confinement n’a pas trop laissé de séquelles comme moi. Pour ma part, à l’heure ou vous lirez ces lignes, je serais soit en stage, soit au chômage, ce que je trouve ne me réussis pas trop. Je reviens d’une mission de pair-aidance, ayant duré huit long mois avec la protagoniste précédemment cité (référence au précédent article), c’est-à-dire Asuka-chan*.

Septembre 2019

Depuis le 3 septembre 2019, j’étais donc l’accompagnant d’Asuka Suzumiya. Mon rôle était d’assurer un accompagnement individuel sur différentes thématiques avec Asuka. Elle habite dans une maison, une des quatre maisons d’un foyer d’accueil médicalisé, fermé à clef. Asuka restait cloîtrée à l’intérieur bien qu’elle ait le besoin impérieux de sortir. En effet, elle pouvait se mettre en danger, monter sur le grillage, s’auto-mutiler avec un clou jusqu’à l’articulation même. Bref elle se mettait en danger, il lui fallait un accompagnant au quotidien.

Lorsque je suis arrivé à la maison, les autres membres de l’équipe me disent que je suis là car étant deux pour sept personnes, ma présence était essentielle pour Asuka. Je lui permis donc, sous mes yeux, de sortir, cela elle le comprit assez vite. J’apprends alors qu’ils ne la comprennent en rien et qu’ils ont peur d’elle, ils se sentent en difficultés face aux manques de compréhension de cette dernière. Ils le prennent comme un échec.

Je la découvre donc, c’est une personne autiste avec de fortes déficiences intellectuelles. Elle ne comprend pas grand-chose de l’oral, si ce n’est quelques mots. Asuka s’avère être en revanche, une femme pleine d’amour et de gentillesse pour autrui, ponctuant toute la journée des caresses et des bisous cependant son incompréhension consciente l’énerve tellement qu’elle fait peur aux autres. Elle ne comprend pas pourquoi, elle ne peut plus sortir et pourquoi ils ont aussi peur.

Octobre 2019

Je lui permets de sortir, sous mes yeux attentifs et j’apprend qu’autrefois, elle sortait comme elle le voulait dans les collines sans barrières. Hélas après des altercations avec des chiens, des barrières furent posées autour de l’institution. Elle n’a pas compris cela et monte le mur. Elle est donc emmurée dans sa maison pour éviter sa mise en danger, qui est inconsciente, sans qu’on ne pense à lui expliquer.

Même en activité, elle est emmurée sans moi.

Novembre- Décembre 2019

Nous parvenons à la rassurer par ma présence mais tandis que j’assiste à ses crises d’incompréhension et que je ne parviens pas à lui faire comprendre, je commence à me dire que je fais mal mon travail. Rien de plus normal que je galère ! J’utilise le moyen de communication avec lequel elle est le moins familière, je reproduis la même erreur de l’équipe. Alors je lui parle comme un bébé, en lui montrant dans le contexte, ce qu’il faut faire et ne pas faire. Elle comprend mieux.

Janvier- Février 2020

Je remarque que l’équipe sort Asuka sans que je ne leur ait dit quoique ce soit. Les membres de l’équipe se sentent plus en sécurité avec elle. Son traitement s’améliore. Elle est plus posée et malgré une autre résidente, plus violente, elle est stable. Pas de mise en danger, rien d’inquiétant.

Du côté des activités, je remarque que ma collègue de travail me considère comme le responsable attitré d’Asuka, alors même que je n’ai pas plus de compétence qu’elle. Je vois ainsi que ma présence est pour elle, un luxe, celui de ne pas s’occuper d’elle et d’un cas aussi « compliqué ». Elle a du mal à accepter que je ne serais pas toujours là et me réclame. Elle crie et semble ne pas comprendre Asuka, au même titre que les autres membres de l’équipe. Cela m’attriste et me déçoit mais c’est la nature humaine.

Mars 2020

Bien qu’il y ait des hauts et des bas, qu’on ne puisse changer son faible niveau de compréhension et son obstination dangereuse, tout se passe bien. Elle est plus posée et est toujours de plus en plus gentille et affectueuse envers moi. Mes collègues disent qu’elle serait amoureuse que moi. Elle a le droit de le penser mais n’exprime pas autrement les choses et n’attend rien de plus que mon accompagnement.

J’apprends alors que la césure avec l’ancienne accompagnante a été difficile. Alors je décide qu’en avril, je commencerais à l’ignorer et à me séparer progressivement d’elle pour éviter la dépendance. L’arrêt de travail et le confinement me séparerait d’elle sans que je ne sois obligé de le faire.

Avril 2020

J’apprends avec surprise qu’elle sort sans qu’on ait besoin de la suivre. Elle peut rester des heures dehors sans mise en danger. Les membres de l’équipe n’ont plus peur d’elle. La situation originelle est rétablie…Pour l’instant !

Je prends alors conscience de mon rôle, lors de l’annonce de ma fin de contrat. Mon rôle a été plus indirect que je ne le croyais, en rassurant les équipes, j’ai permis à Asuka d’aborder plus sereinement la vie et d’acquérir une liberté qu’elle avait perdu. La maison est ouverte.

Le véritable envol du corbeau

Le rétablissement tel qu’il est nommé par les pairs-aidants ou par Patricia Deegan est trop profond et abstrait pour Asuka qui ne parvient pas à différencier les concepts barrières et dangers. Asuka ne parle pas, elle n’est pas totalement responsable, elle se comporte comme un enfant qu’il faut parfois gronder et faire preuve de sévérité est nécessaire sinon elle se met en danger. Ce n’est pas de la paire-aidance horizontale.

Impossible de faire des entretiens explicites avec elle. Alors que la paire-aidance, concernant Deegan, s’adresse à des personnes formées et capable d’appréhender des notions très abstraites, ce n’est pas le cas pour Asuka. En fait, la paire-aidance, ici, était plus indirecte qu’autre chose.

C’était rassurer l’équipe via la présence d’un pair-aidant, apporter de l’espoir par l’accompagnement individuel procuré et montrer que c’est possible. Donner des conditions ou Asuka pourra acquérir son propre rétablissement. Je suppose que c’est obtenir la liberté et de comprendre son environnement mais…Qui suis-je pour le définir ? Personne. Alors en cette fin de contrat, je conclurais que toutes les personnes ne sont pas égales dans le rétablissement et que peu de mes cours m’ont aidé dans cette mission.

La paire-aidance est donc possible pour les personnes autistes avec déficiences intellectuelles mais il n’existe aucune définition, ni études, ni cas semblable au mien pour faire un consensus. Me voila donc perdu dans un monde qui au final, m’apporte beaucoup de bonheur !

Asuka est semblable à Jack Sparrow, dans Pirates des Caraïbes. Ce qu’elle recherche, c’est la liberté totale, de faire ce qu’elle souhaite. Cette liberté, j’espère qu’elle la trouvera, sur Terre ou dans les cieux. Il volera un jour, le corbeau !

Farewell and Kiss ❤

Sofian SEBBAGH—ESCALIER
Pair-aidant en formation au DU Pair-Aidance à Lyon

*Les prénoms et noms ont été modifiés

Du même auteur sur En Tant Que Telle:
Guide de communication avec une personne dys-communicante ou ne s’exprimant pas par voie orale (Et autiste !)

 

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