Les pairs-aidants : mise au point [Sabrina PALUMBO]

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J’ai lu un texte sur Médiapart * , véritable traité anti pairs-aidants (PA). Parmi les nombreux reproches à ce concept fumeux de pair-aidance importé d’Outre Atlantique et implanté à coup de lobbying je remarque que dans ses premières critiques l’auteur évoque l’installation d’une relation de dépendance en raison de la simple utilisation du mot « aidant ». À partir de là le débat est clos.

En s’attardant sur les notions de « soigner bien » et de « soigner mal » l’auteur ne fait que cliver la pair-aidance avec le soin ce qui est absurde quand on connaît la complémentarité dans laquelle le mouvement s’inscrit. 

Le PA n’est ni au-dessus ni au-dessous, son savoir est respectable tout comme l’est le savoir académique et n’oublions pas que ceux qui ont envie de faire du bon boulot passent (quasi) systématiquement par la case formation * et même tout au long de la vie. Je suis d’accord avec l’auteur sur un point : la seule expérience de la maladie « psy » et le désir d’aider ne suffisent pas.

J’ai cherché l’intention du texte. Si je ne maîtrise pas tous les enjeux politiques, ce dernier transpire d’une espèce de peur : comme si les PA venaient prendre des parts de marché, ou le travail, ou simplement décrédibiliser les « soignants sachant ». L’arrivée de PA fait-elle peur à ce point ? 

Il y a de la place pour tous et s’ils ne représentent pas la solution magique (y en a-t-elle une en psychiatrie ?) leur efficacité et leur utilité ne sont plus à prouver, pour peu que l’on prenne certaines précautions préalables à l’embauche et à l’intégration d’un PA dans une équipe *

Si j’ai bien compris, lorsqu’on souffre d’un trouble psy c’est notre personnalité qui est affectée donc il semble impossible de guérir. De même, je considère que la maladie est une partie de nous * . Pourquoi vouloir se libérer d’une partie de nous ? Si j’ai parfois des patients-clients qui souhaitent acter leur « divorce » d’avec la maladie par une lettre par exemple, ce n’est pas le cas le plus fréquent. En revanche, on observe clairement qu’il est possible de reprendre le dessus et même de gagner complètement la bataille. 

Cette petite partie (parfois appelée petite voix ou saboteur ou critique) aura beau se rappeler à nous de temps en temps il existe en tous cas un moment où l’on « sait » que c’est derrière nous et que pour rien au monde on ne succombera à nouveau au chant des sirènes. C’est ce que j’appelle être guéri·e. 

En TCA * (troubles de comportement alimentaire) la guérison intervient à différents niveaux : somatique, psychologique, social. Ce serait faire preuve de malhonnêteté de dire que même guéri·e il n’y a pas des moments où l’on ressent la nostalgie du début de la maladie, cette « lune de miel » au cours de laquelle tout allait bien et où l’on « maîtrisait » la bête. Cette nostalgie se retrouve chez bon nombre d’anciens patients ou anciennes patientes même s’il savent que c’est un leurre car cette phase ne dure pas et il y a un moment où tout se casse la gueule : c’est la maladie qui contrôle et qui dicte ses actes à la personne.

Mais revenons à nos moutons. Pour certaines pathologies il faudra composer avec un traitement à vie et pour d’autres on pourra même s’en passer. Est-ce que pour autant les anciens usagers sont malades ? Vulnérables ? Je ne pense pas. Dans la vie de tous les jours, on nous lâche plutôt les baskets. Il n’y a que dans le petit monde des institutions où la question fait rage. Qu’il est dur de laisser son bon petit patient voler de ses propres ailes…

Et la question de la rechute dans tout cela ? Et bien… Le risque zéro n’existe pas ! 

Ado, je faisais beaucoup de sport. Je faisais aussi entorse sur entorse. Aujourd’hui rien ne me dit que je ne me ferai plus jamais d’entorse 😊

Autorisez-vous à guérir ! 

Je m’interroge de voir à quel point les jeunes générations s’imprègnent des discours qu’on leur sert sur un plateau : « Malade tu es, malade tu resteras » et dans le meilleur des cas « on te reconnaît comme expert de ta pathologie » (et on te rétribue pour ça !).

Ne serait-il pas possible de viser un peu plus haut ?

Je vois des pairs aidants s’auto stigmatiser * avec force et conviction. J’ai choisi une autre voie, celle de lâcher la maladie. Ce n’est n’est pas facile. 

La maladie a quelque chose de confortable et apporte de nombreux bénéfices. Je dis aux personnes que j’accompagne qu’il y aura comme un deuil à faire. Ce n’est pas simple. Comment se lancer dans la vie, s’autoriser à vivre, lâcher ce qui parfois nous a construit pendant une bonne partie de notre vie ? Vous imaginez ?

Il s’agit de désapprendre un mode de fonctionnement qui nous a parfois permis de survivre et de lâcher le contrôle, la seule chose qui nous donne le sentiment de maîtriser encore quelque chose dans sa vie. Dit autrement, il s’agit de se donner le droit aux erreurs et même aux échecs, aux déceptions, à toutes les injustices et au lot de souffrances inhérents à la vie. Vaste programme !

Enfin, en réponse à l’article qui titrait “Les pairs-aidants, pseudo générosité et dérives sur la psychiatrie” j’ai envie de répondre que la pair-aidance c’est aussi et surtout une démarche authentique et aidante. Certes, au départ il y a peut-être quelque chose de l’ordre de l’auto-sauvetage” mais le recul nécessaire pour exercer limite ce phénomène. Les pairs aidants, en étant au clair avec leur histoire personnelle, sont tournés vers les autres et bel et bien dans une démarche altruiste d’aide à leurs compagnons d’infortune.

Une phrase m’a fait bondir : « S’il est simple névrosé anxieux ‘bien guéri’ « il ne sait rien d’autre »»

Quelle méconnaissance de ce que sont les savoirs expérientiels et d’un enjeu important de la pair-aidance : passer du Je au Nous.

C’est certain que si l’on voit le pair-aidant comme une petite chose encore fragile et autocentrée sur son histoire/nombril, on ne va pas pouvoir beaucoup travailler ensemble.

Si l’on croit qu’il est possible de sublimer ses troubles, de les transformer en connaissance, de rendre cela utile à d’autres alors il y a peut-être encore moyen de moyenner.

Sabrina Palumbo

Coach certifiée ACT thérapeute, pair-aidante  et secouriste en santé mentale, auteure et consultante
Membre de l’Association Francophone pour une Science Comportementale et Contextuelle et de l’Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive
Marraine des associations Solidarité Anorexie Boulimie
Co-créatrice Koala Family
www.corps-et-ame-en-eveil.com

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