Qu’est-ce qu’il y a dans ma boîte à gants? [SNG. Natacha Guiller]

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QU’EST-CE QU’IL Y A DANS MA BOÎTE À GANTS ?* [Avril 2020 + révision + dessins = Juin 2021]

(* à réciter et intégrer sur un refrain de Henri Dès.)

Je pense incarner une boîte à outils vivante, bâtie et alimentée par une expérience de vie minée d’aléas et d’épreuves que j’ai pu surmonter et qui valident ma capacité à livrer ce récit et ce parcours sous des formes qui deviennent des moyens, dont d’autres personnes en situation semblable ou proche peuvent s’emparer ou s’inspirer pour (re)prendre les rênes de leur existence, de leur santé et être actrices de leur vie future. Le partage d’expériences vécues entre pair.es suivant un format de rencontres universitaire [1] vise à utiliser judicieusement ces savoirs selon une posologie parcimonieuse agrémentée de tact [2].

[I.1]
[I.2]

Ma « boîte à gants » – comme je m’attacherai ici à la désigner selon la métaphore filée qui s’invente – est personnelle et singulière, en ce sens originale. Il en émane l’authenticité parfois brute à l’usage qui se polie par la conscience de mes propres failles, de mes ignorances et de mes limites. La façon dont je suis en communication et déploie mes outils et leur partage à une tierce personne paire-usagère pourrait lui permettre de se sentir devenir actrice de son devenir, responsable de son rétablissement et de ses rêves, dessein tracé sur une voie commune via une situation légèrement déviée de la mienne. Ce transfert d’intimes moyens d’exister est la batterie principale d’amorce au cœur et à la base de mon accompagnement.

[I.3]

Pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir [3].

L’absence de gants dans ladite boîte m’enjoint à dénuder le vécu quand cela s’avérerait nécessaire, soit en déballant les phases importantes de mon parcours de vie, de soin, d’artiste, en présence d’une personne paire-usagère. Il s’agit de décaper un langage opaque et soyeux pour atteindre le juste ton, s’aligner au diapason adapté de dialogue (en tenant compte des seuils de compréhension et de tolérance de l’autre), une habileté d’encouragement qui favorise la naissance d’une complicité, la confiance, l’autonomisation, en faisant preuve de disponibilité, d’écoute, de vasque de sécurité et de bienveillance. Mon rapport au soin en santé mentale n’est pas issu d’écoles qui lui seraient assimilées mais plus agrippé au vécu expérientiel, ce qui me distingue de soignants ou spécialistes de par leur profession.

[I.4]

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Il convient également, à propos des services et institutions de soin, de mettre « à poil » le bien-fondé qui leur est dû et de déceler leurs dysfonctionnements, tout en conservant une position de départ de neutralité, ainsi que rappeler mes propres inaptitudes et mon faisceau limité de compétences, avec la possibilité de recourir au « coffre » de mon bolide « espair », blindé d’un cortège d’annuaires, tout aussi disposée à déléguer, relayer, orienter une personne paire-usagère quand je nous pressens atteindre le plafond de mes possibles. À quatre mains, pieds, yeux, oreilles, nous cultivons l’autonomisation de la personne accompagnée, laquelle se fortifie notamment grâce au partage de connaissances réciproque, à la prise de conscience et à l’organisation de différents types de savoirs expérientiels de l’individuel au collectif. La familiarisation à l’expertise de soi-même est une arme dont la personne paire-usagère peut se saisir – devenant  forte de propositions – afin de décider ce qui s’avérerait bon pour elle, lui permettant aussi d’interagir en tant que citoyenne éclairée et responsable de sa vie, de son environnement, et de son impact sur la société, telle qu’elle l’y enjoindrait ou non..

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L’outil c’est vous. (nb : le stylo est une arme) [4]

Ma caisse à outils est malléable – comme un pneu – elle se déforme et fait l’objet de conversations, amovible et perpétuellement actualisable ; chacun devient à même de se la réapproprier. Elle carbure au co-ajustement et grâce aux retours d’expérience de ses utilisateurs, collègues pairs ou autres professionnels de santé. Prête à l’emploi et empruntable 24h/7j, elle se se voudrait compréhensible par le plus grand nombre ; son principe actif a lieu dans le dialogue universellement accessible, la traduction de soi et une attention commune portée vers l’élévation de ce que chaque individu incarne et cultive – parfois silencieusement – quant à en définitive la veille à la conscience des autres. 

Ce « kit de rétablissement » s’arbore comme un pagne multipoches mu par des convictions ancrées en une éthique, soit une conception bricolée de la citoyenneté ; il accompagne les gestes et déplacements, les actes de la vie quotidienne.  Ma boîte à gants est accessible sur demande motivée, en aucun cas contrainte ou imposée à une personne paire-usagère, ni ordonnancée à contre-courant de ses besoins. Le « pair » relève d’ores et déjà de son propre « outil » incarné, tel un « motivateur », avec l’idée que tout accompagnement ne se base que sur la participation active de la personne paire-usagère. En co-rédigeant son plan de vie et de soin à part entière du dossier patient qui la concerne – dès lors que cela est possible – l’on veille à de ne pas dénaturer des priorités ou induire en passivité la personne accompagnée, voire à attiser des mesures cruciales par la suite, de la part du corps soignant chapoteur psy.

[I.8]

Les savoirs expérientiels et l’entraide mutuelle via le partage d’expériences viennent enrichir l’un et l’autre. Tel un bolide dLes savoirs expérientiels et l’entraide mutuelle via le partage d’expériences viennent enrichir l’un et l’autre. Tel un bolide du pouvoir d’agir, ma boîte à gants est un un matériau modelable à travers la co-création et destinée à la réinvention à plusieurs mains. Elle tente de contenir l’égalité, la diversité, la non-hiérarchie des personnes, favorisant l’horizontalité, le travail pluridisciplinaire, l’entente de toutes les voix, le respect des idées, valeurs et limites de chacun. Elle encourage la pluralité des supports d’expression, en tenant compte de la personnalité, en mettant en valeur et/ou en évidence les forces, capacités, ressources et ambitions des individus. Le dessein à conquérir permet – pour qui s’en empare – de se responsabiliser dans ses projets de vie, ses valeurs personnelles, ses soins. L’adaptation au cas par cas de la boîte permet de développer et affiner son esprit critique et sa lucidité, de choisir, connaître et veiller au respect de ses droits, enfin de protéger son intégrité face à une vulnérabilité révélée et soumise au puissant pouvoir de contraindre des institutions de soin établies et – m’apparaissant-elles – censément irrévocables. La connaissance transmise comme matière engage l’action de la personne qui tend l’oreille. Le savoir expert ou savant « ordonne le mot », ainsi la parole se meut performance en générant l’acte qui suit. [5]

[I.9]

Ma boîte à gants est une boîte à rythmes, elle entend la vitesse d’action et de réflexion de son utilisateur et se décalque en tessiture, véhicule d’ondes positives, de suggestions, ou encore de pistes sonores dont se saisir. Elle alterne des plages de silence à investir, des refrains à intégrer pour mieux appréhender le quotidien, des bruits qu’il conviendrait d’explorer pour les claironner à voix haute devant un public. En ce sens, c’est en pratiquant l’écoute active que je bienveille à établir un climat de confiance, en usant des méthodes de reformulation, de soutien, d’enquête, d’interprétation, en offrant sa place au silence entendu…

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Mon registre de langage se module et s’ajuste tout en préservant l’intimité de la personne paire-usagère, restant à l’écoute de ses besoins immédiats et de ses souhaits, afin de les hiérarchiser pour lui proposer l’aide dont elle a besoin et de pouvoir évaluer avec elle notre complicité.  

Se vivre comme étant l’occasion pour que les autres voient la lumière ; nous n’avons pas à empêcher les choix d’une personne, en dehors du cadre juridique. [6]

Ma boîte à outils propose tout un attirail de matériel pour bricoler son langage propre, avec l’objectif de renforcer l’autonomie, la capacité à cerner et exprimer ses besoins, ses envies, ses refus, à demander de l’aide, aiguiser l’ouïe à l’appréhension du monde, à entretenir un seuil de vigilance et d’alerte. Elle vise également le renforcement des capacités à s’écouter, se respecter, être en mesure de se mobiliser pour secourir l’autre dans la mesure de ses moyens, mais aussi défendre sa place, sa différence et son statut dans la société et la vie active. Ceci passe par une redéfinition, une actualisation et une réinvention continue du langage voué à l’échange. 

Mon caisson-ressource considère la personne paire-usagère en tant qu’être humaine et non sous l’angle de problèmes à traiter, en s’appuyant plus sur un projet de vie que sur la résolution de difficultés. Il convient en ce sens d’abolir toute croyance limitante en révélant les rêves – les plus fous – des personnes ; ceux-là deviennent les moteurs d’un rétablissement en chantier, et c’est avec cet esprit que l’accompagnement d’une personne paire-usagère s’enclenche. On s’enharnache communément d’auto-détermination, des valeurs d’espoir, de responsabilité individuelle et d’autonomie, en accompagnant des décisions propres.  

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Si vous créez un groupe de parole, la première chose, c’est de le faire pour vous. [7]

    Apprendre, ça transforme. [8]

Ma boîte à gants comporte quelque notice DIY [9] au prototype permettant aux plus inspirés des utilisateurs de construire eux-mêmes leur caisse à outils ou valise de vécu téléportable et ré-exploitable. Chacun des différents organes de l’équipement est agrémenté d’une légende laissée vierge, afin de pouvoir être complétée par des usagers « indemnes » soit vecteurs de définitions authentiques et intuitives, sinon  co-rédigées en équipe de travail coordonnée. 

La richesse et l’éclectisme des parcours de vie des pairs-aidants, la façon dont ils peuvent s’en saisir pour accompagner des personnes paire-usagères, le plus souvent « à tâtons » s’accompagnent de dispositifs d’évaluation et d’autoévaluation de la bonne compréhension, adhésion et liberté de décision de la personne accompagnée. Ces dispositions de sondage permettent de lui garantir un cheminement volontairement facilité par le partage d’expérience et l’accès à un panel d’outils d’auto support. Le développement ou renforcement de capacités dites fonctionnelles (lire, compter), celles permettant d’interagir avec le monde et notamment le monde de la santé, ainsi que celles qui nous aguerrissent d’un esprit critique permettant de se positionner et de dépasser son statut d’origine, relèvent d’objectifs majeurs pour consolider et pérenniser l’autonomie des personnes paires-usagères. Le pair endosse à ce stade une blouse motivationnelle, celle d’un d’orientateur, en fluidifiant l’accès aux carrefours des circuits de soin, de l’insertion sociale et professionnelle, des communautés associatives et solidaires, des dispositifs d’aide au logement, administratives, du sport, du divertissement et de la culture pour la personne paire-usagère en les lui rendant plus accessibles.

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Je m’intime de transporter cette mallette modulaire un peu partout où l’on ne l’attendrait pas ; à cet égard, je me dois  de veiller à une bonne condition de santé globale, soit de préserver corps et tête des épines du passé, présentes, et à venir. Les outils que je balade sont recontractables à tout instant de doute, par nécessité, pour rappel ou enveloppant une idée de génie. Je veille à les entretenir, les justifier en les inventoriant régulièrement, à procéder à l’état des lieux – aussi bien de leurs fonctions que de ma propre adhésion – à l’utilisation. 

L’engagement professionnel du pair l’expose à la vulnérabilité de statut, à la stigmatisation comme au positionnement délicat auprès des usagers. Il s’agit d’intervenir sans pour autant refléter la domination, sans agressivité ni violence inhérentes au pouvoir, sans figer la personne accompagnée en posture « d’assistée » l’infantilisant, aussi de préserver l’espace de choix, une marge de manœuvre permanente, d’autonomie afin de maintenir intègres la liberté et la dignité des personnes en soin. 

La vulnérabilité psychique et la précarité conjointes à un mode de vie parfois perçu comme alternatif, en marge ou déviant des « normes » de la société entraînent à l’exclusion de cette dernière. J’entrevois en effet notre société s’ériger  sur des standards de constitution des individus qui excluent la différence, ce sur quoi – en tant que paire praticienne en santé mentale munie d’une boîte à gants (sans permis B) – j’interviens selon une démarche préventive, affichant et  défendant des valeurs de solidarité vouées à démanteler les idées reçues dans le champ de la santé mentale, en prenant partie de donner l’accès libre à des outils et contenus d’information adressés aux personnes paires-usagères qui souhaiteraient s’en saisir pour renflouer leur pouvoir d’agir.


[I.17]

SNG.Natacha Guiller
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NOTES

[1] Licence en Sciences Sanitaires et Sociales mention Médiateur de Santé-Pairs, Université Paris 13, 2020

[2] Ce premier paragraphe constitue ma définition de la pair-aidance et se base sur l’expérience qui est la mienne, en tant que patiente et usagère de la psychiatrie à présent paire-praticienne en santé mentale dans des services de soin en psychiatrie adulte.

[3] Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975

[4] Lucas Aubert, éducateur spécialisé/formateur, Directeur adjoint chez GROUPE SOS Solidarités, Paris.

[5] Aurore Margat, Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord UFR SMBH, Bobigny.

[6] « do it  yourself » – – – « fais-le par toi-même »

[7] Lucas Aubert, éducateur spécialisé/formateur, Directeur adjoint chez GROUPE SOS Solidarités, Paris.

[8] Aurore Margat, Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord UFR SMBH, Bobigny.

[9] « do it  yourself » – – – « fais-le par toi-même »

LEGENDES DES IMAGES

[I.1] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°324, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.2] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°882, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.3] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°266, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.4] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°178, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.5] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°242, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.6] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°219, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.7] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°846, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.8] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°584, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.9] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°617, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.10] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°158, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.11] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°381, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.12] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°657, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.13] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°833, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.14] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°284, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.15] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°659, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.16] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°535, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]
[I.17] SNG.Natacha Guiller, Carnet bleu des dessins de nuit N°291, 10,5 x 14,5 cm, stylo bic bleu sur papier, [2018-2021]

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