J’avais déjà entendu parler de pair aidance il y a pas mal de temps. Ou de patients experts.
Voilà qui m’avait interpelé, parce qu’au fond de moi je me sentais possiblement un peu concernée.
A l’époque, j’étais en arrêt de travail, en arrêt complet. Depuis, ma situation a pas mal évolué. Est en pleine mutation même.
Je ne suis pas pair aidante. Je ne vais pas non plus le devenir. Pas comme celles et ceux qui se forment et travaillent officiellement à construire ce nouveau métier. Découvrir par hasard la mise en mots que fait Lee, et ce travail de recueil de réflexions… Ouf ! Merci 🙂
C’est que…
Je suis une patiente de psychiatrie.
Depuis un peu plus de 4 ans.
Mon diagnostic n’a pas d’intérêt, il a déjà été modifié, et à priori va l’être encore.
J’arrive en bout de parcours de soins actifs visant à récupération, je vis mes dernières semaines en hôpital de jour, mon état est « stabilisé ».
Et.
Je suis assistante sociale.
Dans le domaine de la santé.
Depuis une quinzaine d’années.
J’accompagne des gens en arrêt. Pour tout type de pathologies.
Des pathologies physiques. Et des pathologies psychiques.
Et c’est là où je porte une double casquette.
Parce que depuis un an, aussi, j’étais « à mi-temps thérapeutique« .
Concrètement, j’ai partagé mon temps entre le repos sans lequel je ne peux plus fonctionner, les soins à l’hôpital de jour, et le travail.
J’ai expérimenté ça : passer une matinée en tant que patiente, et hop, changement de costume à la pause déjeuner : devenir une aidante ! Recevoir en permanence, avec ou sans RV, une succession de personnes en arrêt, en temps partiel thérapeutique, en cours de licenciement pour inaptitude ou en invalidité…
Laisser mes troubles à la porte du bureau, écouter l’alter, prendre en compte ses difficultés, être son conseil, ne pas projeter…
Lire sur la pair aidance, ça a été salvateur car qui, sauf ceux qui vivent cette situation à pirouette, auraient pu me comprendre, ou m’apporter des éléments de réflexion ?
J’ai eu du soutien de la sphère médicale pour ma reprise de travail.
La sphère professionnelle, elle, a été assez dure… T’es apte à mi-temps, ben… t’es apte !
Travaille !
J’ai au moins bénéficié d’une supervision, avec une merveilleuse professionnelle qui m’aura permis de trouver mes marques, et même de mieux vivre cette situation si… si « entre 2 chaises » !
Sur le papier, nous avons appelé ça : travailler sur l’articulation entre vie professionnelle et vie privée.
J’ai mis du temps à trouver le bon équilibre. Au départ je voulais changer de métier !
Je n’ai jamais fait semblant d’être autre que celle que je suis. Je suis revenue à ces questionnements de base de l’école d’AS, sur la distance professionnelle. La bonne distance… Celle qui peut permettre l’empathie mais qui aussi parfois peut éloigner trop de l’humain en face ou trop en approcher, quand elle est mal maitrisée. Celle qui érige le bureau entre soi et l’autre comme une ligne de démarcation qu’il serait mal venu de franchir ?
Pour moi il se sera toujours agi de l’espace où faire la mise en commun, ensemble, pour être plus à l’aise à chercher comment réassembler les pièces du puzzle, dans un sens ou ça fonctionnera malgré toutes celles qui ont été, à un moment, abimées. On peut s’y asseoir de part et d’autre ou s’installer… côte à côte !
Mon milieu professionnel n’a pas voulu comprendre.
Par crainte pour moi ? Que je retombe dans la maladie ? Que je n’en sois pas vraiment sortie ? On m’aura jugée sans chercher à savoir. Les étiquettes ont la vie dure.
Ou parce que mes façons de travailler sont moins conventionnelles ? J’ai mon idée… Bref…
N’empêche que voilà. Je ne me suis pas mise à raconter ma vie aux gens. J’ai simplement, parfois, laissé entendre que je n’étais pas différente de celles ou ceux assis en face de moi. J’ai trouvé ça important, de laisser voir que personne n’est à l’abri de troubles, de difficultés, du handicap. Et que soigner sa psyché, c’est comme soigner sa tendinite. Il y a des possibilités de le faire, et même que ça peut fonctionner. Et qu’on peut s’en sortir. Pour moi c’est aussi ça, construire une relation de confiance.
Pendant ces 4 années de soins en psychiatrie, j’ai appris plein de choses. Sur les TCC, sur les médicaments, la résilience… Faire semblant de ne pas savoir, ç’aurait été manquer de respect aux personnes qui se confiaient à moi. Encore une fois, sans entrer dans les détails de ma vie privée.
J’ai pris ce parti, j’y ai réfléchi et je l’ai assumé.
Au bout d’un peu plus d’un an, je suis arrivée à la conclusion que je peux être aidante, une meilleure aidante, en étant authentique.
C’est le système (hiérarchie, certain.e.s collègues, et surtout la transformation des gens en chiffres, objectifs, indicateurs…) qui pour moi ne fonctionne pas. Ce n’est pas ça, la relation d’aide !
Je vais rester assistante sociale, finalement, mais ailleurs et autrement. Je n’aurai de cesse d’exercer ma réflexion, je continuerai à être « en réseau » pour ne pas m’égarer, et je continuerai à être une aidée. Parce qu’il n’y a ni honte, ni problème à ça. Au contraire même !
J’aime cette phrase qui dit peu ou prou « avant de penser que tu es malade, assure toi d’abord de ne pas être entouré que de cons ».
Etre entourée de cons aura participé à mon entrée dans la maladie. Pas que ça, mais quand même.
Même s’il y en a eu moins que de gens biens, ce sont ceux-là qui blessent. Dans tous les milieux les travailleurs peuvent être maltraités. Je vais quitter ces cons là.
J’en croiserai d’autres, mais j’y serai d’avantage préparée maintenant !
Je suis en cours d’être reconnue inapte à ce système.
Dans lequel je dois faire un choix entre être moi-même et vivante, ou adaptée et éteinte.
Et je vais rester une aidante.
Une aidante innovante. Ce n’est pas à mon métier que je suis inapte.
Et je crois qu’on a tous des capacités à agir sur le système. Tous.
Serais-je une aidante de personnes psychiatrisées ? Pas sûr.
Pas que, en tout cas ? J’y réfléchis encore. Mais ce qui est certain, c’est qu’entre patients ou ex-patients, il y a une simplicité, une compréhension implicite… (bon, parfois pas, aussi !)
Une aidante en humanitude par contre, j’y tiens.
D’autant que j’ai eu de bons soignants. Et de bons co-patients. Des humains, je vous dis !
Elo Elo, juillet 2018.
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Bonjour Lee !
Je viens de lire l’article (oui, comme si ce n’était pas moi qui l’avais écrit ahah). Impression de le découvrir. Merci pour ce partage et cette mise en avant. Je me dis de plus en plus qu’être capable de ne pas cacher nos difficultés psychiques, ça va participer à les dédramatiser aux yeux de la société, et à rendre cette dernière un peu plus inclusive.
C’est nickel l’insertion des liens hypertextes, je ne voyais pas tout à fait ce que tu voulais faire mais ça augmente la lisibilité je trouve. Parfait. Juste un bémol sur le lien vers la définition d’assistante sociale, qui laisse entendre qu’il n’y en a qu’en fonction publique, ce qui n’est/était pas mon cas, et le sera encore moins puisque je serai « libérale » dans quelques mois. Que dirais tu de celui ci si tu peux changer ? http://solidarites-sante.gouv.fr/metiers-et-concours/les-metiers-du-travail-social/les-fiches-metiers-du-travail-social/article/assistant-de-service-social-ass Enfin ce n’est qu’un détail ça. Je suis vraiment contente d’avoir pu participer !
Bisous
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Je viens de lire l’article (oui, comme si ce n’était pas moi qui l’avais écrit ahah). Impression de le découvrir. Merci pour ce partage et cette mise en avant. Je me dis de plus en plus qu’être capable de ne pas cacher nos difficultés psychiques, ça participe à les dédramatiser aux yeux de la société, et à rendre cette dernière un peu plus inclusive.
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