Dévoilement et pair-aidance professionnelle #1 [Lee ANTOINE]

VERSION AUDIO

Dans cet article, je nommerai de façon générique les :

Usager.es pour les personnes qui vivent avec des troubles psychiques et ont recours à un accompagnement spécifique en lien avec ces difficultés
Professionnel.les pour les soignant.es, travailleuse.rs sociaux.les et autres personnes travaillant en lien avec des usager.es.
Pairs aidant.es pour les personnes ayant pour métier la pair aidance professionnelle (personne ressource, travailleur.se pair, pair formateurice, médiateurice de santé pair, patient.e expert.e, pair aidant.e indépendant.e, pair praticien.ne …)
Proches pour les familles / ami.es / personnes autres que les professionnel.les et pair aidant.es de l’entourage de l’usager.e

[Cela dans des cadres antérieurs ou non à ma situation actuelle, et une personne pouvant être les deux/trois à la fois}


Je travaille actuellement comme « médiateur de santé pair » / pair aidant professionnel en santé mentale au CRR (Centre ressource réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive)

La question du « comment je suis devenu pair aidant professionnel » se pose régulièrement.
Cela principalement dans le cadre:

  • d’interventions dans des services ( Observatoire du rétablissement )
  • de « formations » de futurs psychiatres
  • d’entretiens avec des thésard.es / personnes en master
  • d’entretien avec des personnes que j’accompagne dans la rédaction de leurs DAiP (Directives Anticipées incitatives en psychiatrie)

Ca me semble être un exercice d’équilibriste, potentiellement dangereux (pour moi) qui implique entre autres, de se raconter… en ne stigmatisant pas davantage les personnes psychiatrisées mais plutôt amener vers une déstigmatisation.
(Je tenterai dans un prochain article de proposer des façons que j’ai trouvé de raconter mon voyage.)

Alors, quelles places pour le témoignage, l’information, la formation dans cette question « comment en êtes-vous venu à exercer en tant que pair aidant professionnel? », à quel point je me dévoile ?

« Qu’est ce que je suis prêt à dire de moi ? A qui ? Dans quel contexte ? Jusqu’où je vais ? Pourquoi ? Comment ? »

Entrent alors en jeu pour moi:
LA PREPARATION
Il me semble impossible de répondre à cette question sans une préparation préalable:

Pourquoi ?
– Pour être en mesure parler de moi sans être rattrapé violemment par des émotions ou situations négatives du passé.
– Pour avoir en tête les éléments de façon relativement chronologiques, avec parfois une suite logique.
– Pour tenter de m’exprimer calmement, sans (trop de) colère.

Comment ?
En « faisant la paix » avec la personne que j’ai été et les violences que j’ai vécues lors de mon parcours de soins.
– En ayant passé un temps incalculable chez des psys.
– En retournant à l’hôpital au besoin.
– En écoutant mes besoins en essayant de les respecter.
– En tentant d’être en accord avec mes valeurs.
– En apprenant à me sentir légitime dans le partage de mon expérience des troubles psy.
– En trouvant enfin un traitement qui me convient (thérapie + soignant.es + médicaments).
– En me formant.

LA PERTINENCE DANS LE DEVOILEMENT

Le dévoilement de moi, de mon parcours, des mes difficultés n’a à mon sens d’intérêt que si cela apporte quelque chose… Il m’est parfois difficile d’évaluer la pertinence de ce partage. Je tente de me dire quand (plutôt) oui ou (plutôt) non je me raconte, sans me figer dans cette réflexion. Alors:
OUI
Si
– ça fait partie du « cahier des charges » d’une présentation (par exemple lors d’une formation)
– c’est à la demande d’une personne concernée par les troubles psy
– c’est demandé de façon non intrusive, avec respect
– la personne en face entend que je ne dirais pas tout
– la personne en face entent que je ne sais pas tout
NON
Si je le fais
– en m’auto-stigmatisant
– me mettant en position de victime
– en déversant mes problèmes et ma souffrance
– quand je suis dans un moment où je vais moins bien
– en brimant les soignant.es ou les familles
– avec impatience
– en induisant volontairement des usager.es à penser que les solutions qui ont été les miennes vont forcément marcher pour elleux
JE DOUTE
Quand
– je sens qu’une personne que j’accompagne semble avoir besoin de trouver quelqu’un qui a un vécu commun (de l’hospitalisation, de la difficulté à trouver un traitement adapté, des freins à la communication de son vécu…) sans en faire de demande explicite (je peux rencontrer des difficultés à comprendre les demandes implicites). Est-ce que c’est moi qui pense que la personne a besoin de ce partage ?
– c’est sur un sujet auquel je ne me suis pas préparé (recul personnel sur la problématique, connaissances théoriques…)
– je n’arrive pas à comprendre si c’est le moment dans un échange
– c’est en très petit comité et que, selon moi, je ne connais pas encore suffisamment les personnes
– je ne sais pas (du tout) comment mes paroles vont être utilisées ou diffusées ensuite
– personne ne réagit ni ne pose de question

LES REPONSES AUX QUESTIONS

Il ne m’est pas aisé de répondre à de nouvelles questions que l’on me pose, de savoir auxquelles répondre, comment, à qui, dans quel but, à quel moment…
Le configuration d’un groupe mixte me rend l’exercice encore plus difficile (*):
Certaines reviennent régulièrement [ vous pourrez remarquer qu’en fonction des interloculteurices et du ton employé, je n’ai pas la même réaction face à une même question ] + [ le vouvoiement n’est pas automatique ]
Je tente ici de classer ces questions (non exhaustives) par le biais un code couleur (mes excuses aux daltonien.nes):

Celles auxquelles je ne souhaite pas répondre (agressives, stigmatisantes, non appropriées, intrusives), et pour lesquelles je ne réponds pas directement à la questions, qui deviennent des questions « vertes »

Celles pour lesquelles je n’ai pas de réponse, face auxquelles je me sens coincé, impuissant
Celles qui impliquent un dévoilement de moi important compliqué émotionnellement où je me sens assez mal à l’aise
– Celles qui impliquent un partage d’expérience ou de situation où je ne suis pas forcément à l’aise

Celles qui impliquent un partage d’expérience ou de parcours simple à formuler, je suis à l’aise pour y répondre
Celles qui sont d’ordre pratique et qui ne sont pas directement en lien avec mon parcours (j’ai l’info, ou pas, si je ne l’ai pas, je redirige vers quelqu’un.e qui a cette info)

Professionnel.les :

– Est-ce que vous être vraiment rétabli ?
– Ca ne vous gêne pas de vous introduire dans une équipe?
– C’est quoi votre pathologie ?
– Je pense que ça serait super qu’il y ait un pair aidant dans le service où je travaille mais *tel.le responsable* s’y oppose, je dois rester dans le service ou pas ?

Pourquoi avez-vous voulu faire ça?
– Vous pensez pas être un danger pour les autres patient.es?
– Vous avez pas l’impression de voler la place de soignant.es ?
– Donc vous avez un travail seulement parce que vous avez été en psychiatrie?

– Vous faites des entretiens seul? (agressif /curieux)
– C’est quoi votre formation ? (agressif / curieux)
– Vous êtes payé combien? (agressif / curieux )

– Et vous participez aux réunions? (agressif / curieux)
– Comment vous vous sentez dans ce rôle ?

– Est ce que vous trouvez facilement votre place dans l’équipe dont vous faites partie ?
– Quelles sont vos missions dans l’équipe?
– Quelles sont les formations existantes ?
– Comment faire pour qu’un.e pair aidant.e soit accueilli.e dans de bonnes conditions?
– Comment on fait pour embaucher un.e pair aidant.e?

Usager.es :
– Ca se passe mal avec mon/ma psychiatre et je dois *pour X raison* continuer à lae voir, vous voulez bien aller lui parler?
– Je suis *dans un environnement avec des personnes néfastes ou des conditions de vie très difficiles*, on fait comment pour s’en sortir?
– Est-ce que vous avez aussi vécu *tel truc dont je ne me sens pas près à parler*?

– Comment vous avez fait pour aller mieux ?
– Vous aussi vous avez été en isolement ? (*1) (*2)
– Vous avez quoi comme maladie vous ?
– J’ai le droit d’arrêter mon traitement ?

– Vous prenez toujours des médicaments ?
– Vous avez aussi des injections comme moi ?
– Et du coup vous êtes guéri ?
– Comment on fait pour devenir pair-aidant ?

– Vous êtes payé ou pas ?

Proches :

– Vous êtes certain d’être la bonne personne pour représenter les usager.es et *sa/son proche concerné.e* ?
– Comment m’y prendre avec mon fils qui… *longue explication de la problématique du dit fils* ?
Est ce que vous avez aussi subi *tel violence/trauma* ? (*)
– Quel est votre diagnostic ?
– Qu’est ce qui vous a aidé ?

– Vous vous sentez comment maintenant?
– Qu’est ce qu’il existe comme association ou autre que je puisse proposer à mon.ma proche ?

Pairs aidant.es :
– On ne dirais pas que tu *as vécu/vis ça, souffre de telle chose*, tu es sûr que c’est vrai?
– Ca se passe mal à mon travail, la situation est insupportable malgré *une énergie considérable et beaucoup d’acteurices mobilisé.es pour que les choses s’améliore*, qu’est ce que je dois faire?
– Tu peux arrêter de *faire / dire telle chose*?

– C’est quoi ta patho. ? (un peu trop)

– Tu te sens comment aujourd’hui? (*)
– On sort boire un verre ? (*1) (*2)

– Tu es payé combien ?
– Tu viens manger avec tout le monde ? (*1) (*2)
– Tu veux bien m’aider pour un projet (sans qu’il soit clairement expliqué / clairement expliqué)

– Tu es à combien de temps de travail ?
– Je suis pas en forme je peux t’appeler ?
– Ca se passe bien au travail ?
– Qu’est ce que tu fais quand ça va moins bien?
– Tu peux me filer des liens sur *tel sujet en lien avec la psychiatrie/santé mentale* ?


Alors, face à tout ce qui entre en jeu pour moi, je continue à travailler sur le fait de me raconter.
Je pense que, comme le processus de rétablissement, ce travail de partage de son parcours n’est jamais terminé, ni acquis, ni figé.
J’apprends au quotidien: (les (*x) sont des références/sources/informations non exhaustives)
– de mes emplois actuels et passés (*1) (*2) (*3) (*4)
– de mes RV psys de plus en plus espacés
– de mes pairs, de mes ami.es, mon entourage, mes collègues…
– de livres (*1) (*2) (*3) (*4) (*5) (*6) (*7) et d’articles (*1) (*2) (*3) (*4) (*5)
– d’outils (*1) (*2) (*3) (*4)
– de vidéos (*1) (*2) (*3) (*4) (*5)
– d’applications mobiles (*1) (*2) (*3) (*4) (*5) (*6) (*7) (*8) (*9) (*10) (*11)
– de mon travail non salarié (*1) (*2)
– de mes (petites ou grosses) victoires (*1) (*2) (*3) (*4) (*5) (*6) (*7)
– de mes (petits ou gros) échecs (*1) (*2)
– en apprenant à ne rien faire
– en écrivant cet article
– …

Lee ANTOINE

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11 réflexions sur “Dévoilement et pair-aidance professionnelle #1 [Lee ANTOINE]

  1. F68.10

    De mon côté, je ne pardonnerais jamais les violences des soignants. La pair-aisance est un bon concept, mais dans le contexte qui est le mien, je ne vois pas comment je pourrais m’y associer d’une quelconque manière.

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