Avoir la même patho ? #1 [Lee ANTOINE]

VERSION AUDIO


J’ai commencé la rédaction de cet article en juillet 2018, repris en juillet 2019, pour finalement le finaliser en octobre 2020. Il a trainé entre les innombrables brouillons de ce blog bien que ce questionnement concernant l’intérêt d’avoir la même pathologie que les pair’e’s que j’accompagne soit resté bien ancré dans mon esprit.

La question de l’importance, la nécessité, la pertinence qu’un’e pair’e-aidant’e ait un trouble psychique « identique » aux personne accompagnées dans le service de santé mentale où iel exerce est arrivée à plusieurs reprises jusqu’à mes oreilles.

Il y a en effet des services spécialisés, comme celui où j’ai exercé pour la première fois comme médiateur de santé pair qui accueillait en majorité des personnes avec une schizophrénie sous le mode d’une intervention précoce avec une orientation rétablissement / réhabilitation psychosociale / remédiation cognitive.
Je n’ai pas de schizophrénie. Cela faisait-il de moi un mauvais pair-aidant en ce lieu ?
(non):

J’ai une forte tendance à me sentir illégitime dans ce que je fais, à ne pas comprendre pourquoi je suis embauché ni pourquoi parfois on me complimente, quelle qu’en soit la raison.
Pour ce premier travail de médiateur de santé pair, je me sens (à postériori) plutôt légitime à l’avoir exercé.
Je me suis également senti utile dans l’une de mes missions terminée depuis peu au CRR consistant à accompagner des personnes avec un diagnostic de schizophrénie ou de trouble bipolaire à la rédaction de leurs directives anticipées en psychiatrie (DAIP).

Non, je ne vis pas avec une schizophrénie ni une bipolarité. Non je ne peux pas tout comprendre. Oui mes diagnostics de troubles psychiatriques sont  différents de ceux sus-mentionnés. Je pense qu’aucun’e humain’e ne peut tout comprendre, même en vivant ou ayant vécu les mêmes troubles, chaque expérience est singulière.

Sans avoir l’expérience personnelle de ce trouble, j’ai celles:

  • du rétablissement;
  • des soins;
  • des hospitalisations;
  • de l’errance diagnostique,
  • des effets secondaires des médicaments;
  • de mes spécificités psychiques et de celles des pair’e’s rencontré’e’s en hospitalisation, sur les réseaux sociaux, en groupe de parole, en formation
  • de savoir ce que c’est « de ne pas être valide »
  • de la rédaction de tous les plans de rétablissement et plans de crise que j’ai pu trouver

J’ai donc appris à:

  • déculpabiliser et accepter d’avoir des troubles psys, d’être handicapé;
  • trouver et mettre en place des stratégies qui me conviennent;
  • comprendre le langage soignant à communiquer avec les professionel’le’s de santé de façon « adaptée », de façon à ce qu’iels me comprennent;
  • partager mes stratégies de coping et de rétablissement;
  • partager d’idée que le rétablissement n’est pas une finalité et plutôt l’idée de vivre avec;
  • me raconter et partager mon savoir d’expérience:

Dans les deux emplois mentionnés précédemment, mes pair’e’s et moi avons des expériences communes concernant nos parcours de soins et de vies, expériences de soins vécues dans les lieux différents, plus ou moins difficilement, avec un entourage différent, à des âges différents… Ainsi, je peux m’identifier, il me semble qu’elleux aussi, il apparait plus simple pour nous de nous raconter, de nous comprendre. Ce lien particulier ne repose pas sur un diagnostic identique mais bien sur un vécu et des expériences communes.

Les outils du rétablissement en santé mentale me semblent (quasiment) universels, avec des variations et adaptations, mais les principes en sont les mêmes. Alors aider une personne à identifier/exprimer ses signes avant coureurs à une crise, les signaux indiquant qu’elle va mieux, ce qui peut l’aider à se sentir bien au quotidien ou au contraire ce qui nuit à son rétablissement etc., c’est à mon sens aspécifique au diagnostic.

Mon rôle de pair-aidant professionnel est entre autres de traduire le « langage patient » vers du « langage soignant » et inversement afin que les parties se comprennent.

J’ai très rarement partagé le nom des diagnostics qui ont été posés pour moi (et avec lesquels je suis en accord), et pourtant il semble que ça fonctionne, que je peux faire un travail correct. Oui je peux ressentir plus de facilité avec des personnes ayant des spécificités/troubles similaires aux miens mais sans pour autant me retrouver déconcerté face à mes pair’e’s aux diagnostics différents (peut-être suis-je aussi un peu multi casquettes?). Je serai certainement un moins bon pair-aidant pour des personnes vivant des troubles que je ne vis pas, mais je sais chercher des ressources, demander des informations à mes pair’e’s et ensuite, si la personne que j’accompagne le souhaite, lui partager ces ressources (qu’elle se les approprie ensuite, ou non).

Il me semble cependant que pour des entretiens individuels, des hospitalisations et des groupes d’éducation thérapeutiques ou de psychoéducation spécifiques à un trouble, la présence d’un’e pair’e-aidant’e professionnel’le concerné’e peut se montrer davantage pertinent. Il s’agirait alors davantage d’expérience d’un trouble et non d’expérience des soins ?

  • Je ne me serais pas senti d’accompagner des personnes ayant été en hospitalisation « sous contrainte » et/ou ayant vécu des violences médicales si je ne l’avais pas vécu moi-même.
  • Je ne me sens pas de faire du travail de rue ou de travailler dans une équipe mobile, ça me donne le sentiment d’être intrusif dans l’environnement intime des personnes.
  • Je me sens plutôt à l’aise dans les moments de crises (par exemple je me vois bien travailler ponctuellement au sein d’urgences psychiatriques)
  • Le partage de mon expérience des soins, de mes stratégies de coping et de rétablissement m’est assez aisé, le partage de mes diagnostics et de mes symptômes l’est moins, bien qu’en étant capable. Je le fais parfois à la demande d’un’e pair’e aidé’e ou quand cela me semble particulièrement pertinent/important.
  • Je me sens plutôt à l’aise de partager des outils lors de formations de pair’e’s aidant’e’s ou d’autres professionnel’le’s, mais pas de parler de la nature de mes handicaps.
  • Je ne suis pas encore capable d’accompagner des personnes sur certaines thématiques, encore trop présentes dans mon quotidien, sur lesquelles je manque de recul et qui pourraient me mettre en difficulté.

Il me semble alors que la pair-aidance, au-delà du fait qu’il y ait autant de moyens de la pratiquer que de pair’e’s-aidant’e’s, repose davantage sur: qu’est ce que je me sens de faire? quelles sont mes limites? quelles sont mes compétences? qu’est ce qui m’anime, me fait envie? quelles situations, quelles pratiques risquent possiblement de me mettre en difficulté ? qu’est-ce qui ne me parle pas?

Est-il alors pertinent de considérer les différences / les croisements entre l’expérience des soins et l’expérience d’un trouble spécifique ?

 

Lee ANTOINE
Pair-aidant et intervenant en santé mentale au CRR (Lyon)
Créateur et coordinateur du blog En tant que telle sur la pair-aidance en santé mentale
Co-créateur du chatbot de soutien psychologique Owlie
Youtuber sur la chaîne Menta’Lee

 

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